Qu'est ce que le travail ? Telle est la question que nous devrions nous poser aujourd'hui pour comprendre que ce mot mérite d'être redéfini. Il y'a en effet une confusion des genres savamment entretenue par nos élites entre l'emploi et le travail.
L'emploi, tel que Bernard Friot
l'explique, correspond à un marché de compétences. Le marché ne
cherche pas des êtres humains sachant apprendre et s'adapter, mais
uniquement leur savoir faire déjà acquis, et cela au moins cher
autant que possible. L'emploi est une forme de déshumanisation de
nos individualités, un mot pour signifier que notre valeur se juge
uniquement à un savoir faire, souvent validé par un diplôme et une
expérience. Qu'il vous manque l'un ou l'autre, ou que votre âge,
votre sexe, votre origine ethnique ou même géographique ne
corresponde pas à un profil recherché, et vous serez exclu du
système.
Et lorsque vous parvenez à
décrocher le précieux sésame à l'emploi, on exigera que
vous passiez votre journée ou votre nuit complète à effectuer une tâche souvent répétitive car spécialisée, qu'elle vous plaise ou non, et inutile d'espérer pouvoir
négocier votre salaire si vous correspondez à une compétence jugée
abondante sur le marché. Bien souvent, votre contrat de travail sera
précaire et si vous faites peu d'heures, cela ne vous rémunérera
pas assez pour pouvoir vivre dignement.
Le travail n'a donc rien à
voir avec l'emploi. Une mère au foyer qui élève son enfant
effectue un travail. Un retraité qui répare un poste de télévision
effectue un travail. Moi qui suis actuellement au chômage et en
profite pour rédiger ce livre, j'effectue un travail. Simplement,
toutes ces taches de la vie quotidienne, associative, politique ou
culturelle ne sont pas rémunérées, ni même considérées comme
des compétences.
Elles ont pourtant un sens. Tant
dans notre survie (comme préparer un repas), dans notre essor
individuel (faire de la musique ou du théatre), ou dans notre relation aux autres
(s'investir dans la vie associative). Chaque action que nous faisons,
mobilise nos moyens intellectuels et physiques et nous impose de dépenser
des calories. De ce travail, résulte notre bien être individuel ou
collectif.
Chaque être humain sur Terre
devrait se rappeler constamment ceci : Nous naissons pour vivre,
non pour être l'esclave d'un système d'une façon ou d'une autre.
Notre temps de vie est extrêmement éphémère. En naissant, un être
humain à vocation à expérimenter la vie le plus largement
possible, apprendre, se réaliser, aimer d'autres personnes, se
rendre utile, jusqu'à ce que la mort nous emporte. Nous ne sommes
pas nés pour être formatés par une éducation nationale évitant
scrupuleusement d'éveiller notre esprit et développer notre sens
critique. Pas plus que notre vie d'adulte doit se résumer à passer
l'essentiel de celle-ci à être l'esclave d'une personne morale ou
physique, pour obtenir la monnaie suffisante permettant de payer des
traites et de la nourriture.
La vie est plus précieuse que
cela. Aussi, ce chapitre est sans doute l'un des plus importants de
cet essai, car il est au cœur du choix de société qu'il me semble
urgent de mettre en réflexion. Nous avons le droit à l'oisiveté,
au temps libre pour faire autre chose qu'un travail obligatoire pour survivre. Nous
avons le droit au voyage, à la spiritualité et à l'émancipation.
Alors voyons ce que nous pouvons
faire « techniquement » pour changer les choses. Trois
grands axes vont se dessiner à nous, et c'est en les suivant au
mieux, que nous pourrons redonner du temps, et tout du moins une
autre façon de penser le travail à chacun d'entre nous. La première
solution sera d'instituer le revenu de base. Ce dernier est
conceptualisé de différentes manières en fonction de ses penseurs.
Le revenu de base en lui-même est une allocation universelle dont le
montant est fixe, donnée à tous, sans aucune distinction de
revenus, d'activité ou d'âge. La plupart des défenseurs de ce
système l'imaginent de cette façon, mais je n'y suis pas favorable
pour plusieurs raisons :
- Une personne réellement à l'aise financièrement n'a pas fondamentalement besoin d'une telle allocation.
- Le fait qu'il n'y ait aucun plafonnement de revenu ou aucun calcul en fonction de l'âge pour octroyer cette allocation, rend le revenu de base peu élevé de facto. A titre d'exemple, si les 65 millions de Français percevaient un revenu de base de 500 €, cela coûterait 32,5 Milliards d'euros à la Nation. C'est une somme tout à fait budgétisable, mais 500 € n'émancipe personne.
Avant de vous préciser quel
autre modèle je préconise, il convient de s'arrêter un instant sur
les étapes qui jalonnent la vie d'un être humain. Lorsque nous
naissons, si ce n'est la protection de nos parents, nous n'avons
strictement besoin de rien. Entre notre naissance et les premières
années de notre adolescence, nos besoins monétaires sont quasiment
nuls, du fait même que nos parents gèrent pour nous les questions
matérielles et alimentaires. Cependant, vers l'âge de 15 ou 16 ans,
nous approchons de l'âge adulte et cherchons à nous émanciper.
C'est l'âge où nous souhaitons disposer d'un bon vélo, voir d'un
scooter pour nous déplacer plus aisément. Nous souhaitons pouvoir
offrir un verre à notre première conquête amoureuse. Nous avons
besoin de monnaie pour financer un permis de conduire. Bref, c'est le
temps de l'émancipation. Puis entre 18 et 25 ans, en fonction des
chemins choisis par les uns et les autres, nous étudions ou décidons
de travailler immédiatement. A moins que nous ayons la possibilité
de partir dans un pays étranger faire un peu d'humanitaire ou juste
voyager. Mais quoi qu'il arrive, nos besoins monétaires deviennent
plus importants. Car c'est le temps du premier logement, de la première
automobile, des soirées entre amis, des projets qui naissent dans
des esprits jeunes voulant changer le monde. Entre 25 et 60 ans, c'est une
vie d'adulte, et souvent de parentalité qui s'engage. C'est une
période où l'on investit dans une maison, ou l'on cherche à
acquérir un peu de confort, tout en dépensant beaucoup d'argent
pour élever nos enfants. Nos besoins monétaires sont alors à leur
paroxysme. Entre 60 ans et la fin de notre vie, c'est une période de
décompensation. Nos enfants ont grandi et s'en vont, la plupart de
nos traites sont payées et nous disposons souvent d'assez d'épargne
pour se prémunir d'un petit accident de vie. Nos besoins monétaires
sont alors bien moins importants.
Vous l'aurez compris, pour
estimer l'allocation universelle, le premier critère qui doit tout
de suite nous venir à l'esprit est l'âge de l'individu.
Immédiatement ensuite, un second critère intervient : que
gagne t'il par son activité, ou de quel capital monétaire régulier dispose t'il sans cette
allocation universelle ? Le troisième critère correspond à
différents facteurs sociaux pour juger plus finement des besoins
monétaires d'une personne.
Essayons donc d'imaginer une
ébauche de ce que nous appellerons le salaire de vie d'abord par
tranche d'âge. Le site de l'INSEE nous informe que 18,6 % de la
population a entre 0 et 15 ans. Décidons pour l'exemple que tous les
enfants de moins de 15 ans recevront chaque mois une allocation de 10
euros sur un compte à leur nom ouvert par l’État.
Cela nous coûterait 1,450
Milliards d'euros par an. A l'âge de 15 ans, un enfant disposerait
d'une somme de 1800 euros d'épargne pour passer la période de
l'adolescence. Toujours sur le site de l'INSEE, nous apprenons que
les 15-19 ans représentent 6,1 % de la population. Octroyons leur
300 euros par mois pour voir ce que cela donne : l’état
verserait alors un peu plus de 14 Milliards d'euros par an à cette
tranche d'âge. Si nous donnions 1000 euros à tous les jeunes ayant
entre 20 et 24 ans pour les assister dans leurs projets ou leurs
études (en considérant qu'aucun d'entre eux ne gagne d'argent dans
le cadre d'un travail rémunéré), c'est presque 48 Milliards
d'euros que l’État allouerait à notre jeunesse chaque année.
Arrêtons nous un peu ici, car il
y'a nécessité de rassurer les plus libéraux d'entre vous qui
hurleront à l'assistanat. Il faut d'abord se rappeler le cycle de la
monnaie après les réformes expliquées plus haut. Si vous vous
souvenez du second chapitre sur de ce livre, je précisais en effet
que l'objectif affiché était de limiter la thésaurisation de la
monnaie, et donc favoriser à l'inverse sa circulation dans
l'économie réelle. Hors, une monnaie qui circule correctement se
retrouve forcément dans la fiscalité. D'abord par le biais de la
monnaie fondante, puis la TVA ou encore les taxes sur les énergies.
De fait, notre jeune étudiant qui consomme des biens et services,
réinjecte obligatoirement de la monnaie dans les caisses de l’État.
En supposant par exemple que la totalité de ces 1000 euros alloués
à tous nos jeunes ayant entre 20 et 24 ans, soient dépensée en
monnaie fondante sur la base d'un prélèvement à 5 %, c'est près
de 2,4 Milliards d'euros qui reviendront dans les caisses de l’État.
Et nous ne parlerons pas des autres taxes ici.
L'autre point de vue à examiner
est le fait qu'une jeunesse soutenue du point de vue monétaire afin
qu'elle puisse étudier ou démarrer une activité, c'est un
investissement pour l'avenir. Et tout investissement se récupère
nécessairement sur le long terme. Par ailleurs, tous les jeunes pour
des raisons diverses et variées ne toucheraient pas cette allocation
intégralement. Si par exemple, un jeune de 23 ans a une activité
qui lui rapporte 800 euros par mois, il ne toucherait que 200 euros
d'aides de l’État (si nous décidions d'un plafond du salaire de
vie à 1000 euros pour cette tranche d'âge évidemment).
Enfin, n'oublions pas que l’État
« jette » de la monnaie dans la circulation par rapport à
un besoin total. En imaginant que nous passions au 100 % monnaie, le
nouveau franc ne serait pas une créance d’État mais un simple bon
valant une certaine unité de compte pour faciliter nos échanges. Il
n'y a donc pas de problème d'endettement de l’État par cette
création monétaire, pas plus que de risque d'inflation monétaire.
Supposons maintenant que vous
ayez 35 ans. Vous êtes au chômage et êtes en train de rembourser
l'emprunt vous ayant permis de financer votre maison. Vos besoins
monétaires sont assez élevés car vous avez deux enfants à charge.
L’État vous allouerait dans ce cas une somme de 1500 € de
salaire de vie. Nous verrons plus loin que l'allocation familiale
serait versée autrement qu'aujourd'hui.
Si en revanche, vous êtes un
artisan de 43 ans qui gagnez 2700 € par mois, vous ne toucheriez
aucun salaire de vie. Lorsque vous décideriez de prendre votre
retraite, votre salaire de vie serait de 1200 € dans cet exemple
qui est évidemment totalement arbitraire dans la rédaction de cet
essai.
Ces chiffres ne doivent donc pas
être considérés comme étant ceux que nous choisirions dans le
cadre d'une telle réforme du travail. Ils pourraient être plus haut
ou plus bas, car de nombreux paramètres permettront de les calculer
correctement. Mais il est temps de considérer un détail non
négligeable qui rentre dans l'équation :
Un salaire de vie permet
d'annuler les bourses versées aux étudiants, les allocations
chômage, le R.S.A et les retraites en même temps. Un seul organisme
peut se charger du calcul de notre Salaire de vie. Ce qui signifie
que nous ferions des économies d'échelle réellement perceptibles.
Un grand nombre d'administrations pourraient disparaître, et le poids financier
de la fonction publique pourrait drastiquement baisser dans ce cadre
là. En outre, en garantissant un salaire de vie réellement digne et
bien au-dessus du R.S.A actuel, nous sommes certains de pouvoir
éradiquer la misère sociale et garantir à notre économie de
fonctionner correctement, puisque la consommation restera soutenue
par cette allocation. Enfin, en donnant l'assurance à tout un chacun
d'une visibilité durable sur ses revenus, il deviendra plus aisé de
créer ses chances dans l'entrepreneuriat, accéder au crédit ou
rassurer un bailleur privé dans une recherche de logement.
Celui qui souhaitera faire un
voyage qu'il soit initiatique, humanitaire ou simplement de loisir ne
trouvera pas de limites monétaires pour partir le temps nécessaire.
Les artistes ne se feront plus de souci pour s'adonner à leurs
créations. Les entrepreneurs auront une visibilité et pourront
motiver aisément des proches à les rejoindre dans leur projet, même
sans salaire à proposer, du fait que l’État octroie à tous un
salaire de vie. Un salarié ne craindra plus le licenciement. Un
étudiant ne se fera pas de souci pour pouvoir vivre et étudier. Et
ma fois si vous êtes un parfait paresseux, vous rendrez malgré tout
un peu de votre salaire de vie dans la fiscalité.
Ce qui m'amène à l'argument que
l'on pourrait bien vite opposer à ce système :
Les gens ne voudront plus
travailler.
Eh bien réfléchissez simplement
à cet argument pour vous même. Si vous touchiez un salaire de vie,
que feriez vous ? Peut être que dans un premier temps, si vous
êtes ouvrier à la chaîne, vous souhaiteriez arrêter de
travailler. Mais bien vite, vous vous ennuieriez et chercheriez une
occupation. Reprendre vos études, monter votre entreprise, trouver
un autre travail qui vous semblerait plus valorisant ou rémunérateur,
vous investir en politique ou dans une association. Quoi qu'il
arrive, tout le monde effectue un travail, même lorsque nous sommes
en dehors de l'emploi. C'est une constante humaine, nous ne
supportons que difficilement l'inactivité. En outre, si le salaire
de vie devait être de 1500 euros pour les 25-60 ans, qu'est ce que
cela impliquerait immédiatement ?
Une revalorisation des salaires
immédiate par les entreprises. Surtout s'agissant des travaux
pénibles. Si votre ouvrier gagne autant ou plus en ne travaillant
pas, vous n'avez d'autre choix que de l'augmenter pour l'inciter à
rester à son poste. Ce qui signifie que les Français disposeront
d'un plus grand pouvoir d'achat par l'activité salariale ou
entrepreneuriale, et par voie de conséquence, les rentrées fiscales
en seront d'autant plus grandes pour l’État. Ce qui permettra donc
de garantir un budget important pour cette allocation universelle.
Notons à ce stade que le salaire de vie serait financé par une
cotisation sur les salaires, comme c'est le cas avec notre système
de retraite et la sécurité sociale actuellement.
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