mardi 2 avril 2013

Introduction au Salaire de Vie


Qu'est ce que le travail ? Telle est la question que nous devrions nous poser aujourd'hui pour comprendre que ce mot mérite d'être redéfini. Il y'a en effet une confusion des genres savamment entretenue par nos élites entre l'emploi et le travail.

L'emploi, tel que Bernard Friot l'explique, correspond à un marché de compétences. Le marché ne cherche pas des êtres humains sachant apprendre et s'adapter, mais uniquement leur savoir faire déjà acquis, et cela au moins cher autant que possible. L'emploi est une forme de déshumanisation de nos individualités, un mot pour signifier que notre valeur se juge uniquement à un savoir faire, souvent validé par un diplôme et une expérience. Qu'il vous manque l'un ou l'autre, ou que votre âge, votre sexe, votre origine ethnique ou même géographique ne corresponde pas à un profil recherché, et vous serez exclu du système.

Et lorsque vous parvenez à décrocher le précieux sésame à l'emploi, on exigera que vous passiez votre journée ou votre nuit complète à effectuer une tâche souvent répétitive car spécialisée, qu'elle vous plaise ou non, et inutile d'espérer pouvoir négocier votre salaire si vous correspondez à une compétence jugée abondante sur le marché. Bien souvent, votre contrat de travail sera précaire et si vous faites peu d'heures, cela ne vous rémunérera pas assez pour pouvoir vivre dignement.

Le travail n'a donc rien à voir avec l'emploi. Une mère au foyer qui élève son enfant effectue un travail. Un retraité qui répare un poste de télévision effectue un travail. Moi qui suis actuellement au chômage et en profite pour rédiger ce livre, j'effectue un travail. Simplement, toutes ces taches de la vie quotidienne, associative, politique ou culturelle ne sont pas rémunérées, ni même considérées comme des compétences.

Elles ont pourtant un sens. Tant dans notre survie (comme préparer un repas), dans notre essor individuel (faire de la musique ou du théatre), ou dans notre relation aux autres (s'investir dans la vie associative). Chaque action que nous faisons, mobilise nos moyens intellectuels et physiques et nous impose de dépenser des calories. De ce travail, résulte notre bien être individuel ou collectif.

Chaque être humain sur Terre devrait se rappeler constamment ceci : Nous naissons pour vivre, non pour être l'esclave d'un système d'une façon ou d'une autre. Notre temps de vie est extrêmement éphémère. En naissant, un être humain à vocation à expérimenter la vie le plus largement possible, apprendre, se réaliser, aimer d'autres personnes, se rendre utile, jusqu'à ce que la mort nous emporte. Nous ne sommes pas nés pour être formatés par une éducation nationale évitant scrupuleusement d'éveiller notre esprit et développer notre sens critique. Pas plus que notre vie d'adulte doit se résumer à passer l'essentiel de celle-ci à être l'esclave d'une personne morale ou physique, pour obtenir la monnaie suffisante permettant de payer des traites et de la nourriture.

La vie est plus précieuse que cela. Aussi, ce chapitre est sans doute l'un des plus importants de cet essai, car il est au cœur du choix de société qu'il me semble urgent de mettre en réflexion. Nous avons le droit à l'oisiveté, au temps libre pour faire autre chose qu'un travail obligatoire pour survivre. Nous avons le droit au voyage, à la spiritualité et à l'émancipation.

Alors voyons ce que nous pouvons faire « techniquement » pour changer les choses. Trois grands axes vont se dessiner à nous, et c'est en les suivant au mieux, que nous pourrons redonner du temps, et tout du moins une autre façon de penser le travail à chacun d'entre nous. La première solution sera d'instituer le revenu de base. Ce dernier est conceptualisé de différentes manières en fonction de ses penseurs. Le revenu de base en lui-même est une allocation universelle dont le montant est fixe, donnée à tous, sans aucune distinction de revenus, d'activité ou d'âge. La plupart des défenseurs de ce système l'imaginent de cette façon, mais je n'y suis pas favorable pour plusieurs raisons :

  1. Une personne réellement à l'aise financièrement n'a pas fondamentalement besoin d'une telle allocation.
  2. Le fait qu'il n'y ait aucun plafonnement de revenu ou aucun calcul en fonction de l'âge pour octroyer cette allocation, rend le revenu de base peu élevé de facto. A titre d'exemple, si les 65 millions de Français percevaient un revenu de base de 500 €, cela coûterait 32,5 Milliards d'euros à la Nation. C'est une somme tout à fait budgétisable, mais 500 € n'émancipe personne.
Avant de vous préciser quel autre modèle je préconise, il convient de s'arrêter un instant sur les étapes qui jalonnent la vie d'un être humain. Lorsque nous naissons, si ce n'est la protection de nos parents, nous n'avons strictement besoin de rien. Entre notre naissance et les premières années de notre adolescence, nos besoins monétaires sont quasiment nuls, du fait même que nos parents gèrent pour nous les questions matérielles et alimentaires. Cependant, vers l'âge de 15 ou 16 ans, nous approchons de l'âge adulte et cherchons à nous émanciper. C'est l'âge où nous souhaitons disposer d'un bon vélo, voir d'un scooter pour nous déplacer plus aisément. Nous souhaitons pouvoir offrir un verre à notre première conquête amoureuse. Nous avons besoin de monnaie pour financer un permis de conduire. Bref, c'est le temps de l'émancipation. Puis entre 18 et 25 ans, en fonction des chemins choisis par les uns et les autres, nous étudions ou décidons de travailler immédiatement. A moins que nous ayons la possibilité de partir dans un pays étranger faire un peu d'humanitaire ou juste voyager. Mais quoi qu'il arrive, nos besoins monétaires deviennent plus importants. Car c'est le temps du premier logement, de la première automobile, des soirées entre amis, des projets qui naissent dans des esprits jeunes voulant changer le monde. Entre 25 et 60 ans, c'est une vie d'adulte, et souvent de parentalité qui s'engage. C'est une période où l'on investit dans une maison, ou l'on cherche à acquérir un peu de confort, tout en dépensant beaucoup d'argent pour élever nos enfants. Nos besoins monétaires sont alors à leur paroxysme. Entre 60 ans et la fin de notre vie, c'est une période de décompensation. Nos enfants ont grandi et s'en vont, la plupart de nos traites sont payées et nous disposons souvent d'assez d'épargne pour se prémunir d'un petit accident de vie. Nos besoins monétaires sont alors bien moins importants.

Vous l'aurez compris, pour estimer l'allocation universelle, le premier critère qui doit tout de suite nous venir à l'esprit est l'âge de l'individu. Immédiatement ensuite, un second critère intervient : que gagne t'il par son activité, ou de quel capital monétaire régulier dispose t'il sans cette allocation universelle ? Le troisième critère correspond à différents facteurs sociaux pour juger plus finement des besoins monétaires d'une personne.

Essayons donc d'imaginer une ébauche de ce que nous appellerons le salaire de vie d'abord par tranche d'âge. Le site de l'INSEE nous informe que 18,6 % de la population a entre 0 et 15 ans. Décidons pour l'exemple que tous les enfants de moins de 15 ans recevront chaque mois une allocation de 10 euros sur un compte à leur nom ouvert par l’État.

Cela nous coûterait 1,450 Milliards d'euros par an. A l'âge de 15 ans, un enfant disposerait d'une somme de 1800 euros d'épargne pour passer la période de l'adolescence. Toujours sur le site de l'INSEE, nous apprenons que les 15-19 ans représentent 6,1 % de la population. Octroyons leur 300 euros par mois pour voir ce que cela donne : l’état verserait alors un peu plus de 14 Milliards d'euros par an à cette tranche d'âge. Si nous donnions 1000 euros à tous les jeunes ayant entre 20 et 24 ans pour les assister dans leurs projets ou leurs études (en considérant qu'aucun d'entre eux ne gagne d'argent dans le cadre d'un travail rémunéré), c'est presque 48 Milliards d'euros que l’État allouerait à notre jeunesse chaque année.

Arrêtons nous un peu ici, car il y'a nécessité de rassurer les plus libéraux d'entre vous qui hurleront à l'assistanat. Il faut d'abord se rappeler le cycle de la monnaie après les réformes expliquées plus haut. Si vous vous souvenez du second chapitre sur de ce livre, je précisais en effet que l'objectif affiché était de limiter la thésaurisation de la monnaie, et donc favoriser à l'inverse sa circulation dans l'économie réelle. Hors, une monnaie qui circule correctement se retrouve forcément dans la fiscalité. D'abord par le biais de la monnaie fondante, puis la TVA ou encore les taxes sur les énergies. De fait, notre jeune étudiant qui consomme des biens et services, réinjecte obligatoirement de la monnaie dans les caisses de l’État. En supposant par exemple que la totalité de ces 1000 euros alloués à tous nos jeunes ayant entre 20 et 24 ans, soient dépensée en monnaie fondante sur la base d'un prélèvement à 5 %, c'est près de 2,4 Milliards d'euros qui reviendront dans les caisses de l’État. Et nous ne parlerons pas des autres taxes ici.

L'autre point de vue à examiner est le fait qu'une jeunesse soutenue du point de vue monétaire afin qu'elle puisse étudier ou démarrer une activité, c'est un investissement pour l'avenir. Et tout investissement se récupère nécessairement sur le long terme. Par ailleurs, tous les jeunes pour des raisons diverses et variées ne toucheraient pas cette allocation intégralement. Si par exemple, un jeune de 23 ans a une activité qui lui rapporte 800 euros par mois, il ne toucherait que 200 euros d'aides de l’État (si nous décidions d'un plafond du salaire de vie à 1000 euros pour cette tranche d'âge évidemment).

Enfin, n'oublions pas que l’État « jette » de la monnaie dans la circulation par rapport à un besoin total. En imaginant que nous passions au 100 % monnaie, le nouveau franc ne serait pas une créance d’État mais un simple bon valant une certaine unité de compte pour faciliter nos échanges. Il n'y a donc pas de problème d'endettement de l’État par cette création monétaire, pas plus que de risque d'inflation monétaire.

Supposons maintenant que vous ayez 35 ans. Vous êtes au chômage et êtes en train de rembourser l'emprunt vous ayant permis de financer votre maison. Vos besoins monétaires sont assez élevés car vous avez deux enfants à charge. L’État vous allouerait dans ce cas une somme de 1500 € de salaire de vie. Nous verrons plus loin que l'allocation familiale serait versée autrement qu'aujourd'hui.

Si en revanche, vous êtes un artisan de 43 ans qui gagnez 2700 € par mois, vous ne toucheriez aucun salaire de vie. Lorsque vous décideriez de prendre votre retraite, votre salaire de vie serait de 1200 € dans cet exemple qui est évidemment totalement arbitraire dans la rédaction de cet essai.

Ces chiffres ne doivent donc pas être considérés comme étant ceux que nous choisirions dans le cadre d'une telle réforme du travail. Ils pourraient être plus haut ou plus bas, car de nombreux paramètres permettront de les calculer correctement. Mais il est temps de considérer un détail non négligeable qui rentre dans l'équation :

Un salaire de vie permet d'annuler les bourses versées aux étudiants, les allocations chômage, le R.S.A et les retraites en même temps. Un seul organisme peut se charger du calcul de notre Salaire de vie. Ce qui signifie que nous ferions des économies d'échelle réellement perceptibles. Un grand nombre d'administrations pourraient disparaître, et le poids financier de la fonction publique pourrait drastiquement baisser dans ce cadre là. En outre, en garantissant un salaire de vie réellement digne et bien au-dessus du R.S.A actuel, nous sommes certains de pouvoir éradiquer la misère sociale et garantir à notre économie de fonctionner correctement, puisque la consommation restera soutenue par cette allocation. Enfin, en donnant l'assurance à tout un chacun d'une visibilité durable sur ses revenus, il deviendra plus aisé de créer ses chances dans l'entrepreneuriat, accéder au crédit ou rassurer un bailleur privé dans une recherche de logement.

Celui qui souhaitera faire un voyage qu'il soit initiatique, humanitaire ou simplement de loisir ne trouvera pas de limites monétaires pour partir le temps nécessaire. Les artistes ne se feront plus de souci pour s'adonner à leurs créations. Les entrepreneurs auront une visibilité et pourront motiver aisément des proches à les rejoindre dans leur projet, même sans salaire à proposer, du fait que l’État octroie à tous un salaire de vie. Un salarié ne craindra plus le licenciement. Un étudiant ne se fera pas de souci pour pouvoir vivre et étudier. Et ma fois si vous êtes un parfait paresseux, vous rendrez malgré tout un peu de votre salaire de vie dans la fiscalité.

Ce qui m'amène à l'argument que l'on pourrait bien vite opposer à ce système :

Les gens ne voudront plus travailler.

Eh bien réfléchissez simplement à cet argument pour vous même. Si vous touchiez un salaire de vie, que feriez vous ? Peut être que dans un premier temps, si vous êtes ouvrier à la chaîne, vous souhaiteriez arrêter de travailler. Mais bien vite, vous vous ennuieriez et chercheriez une occupation. Reprendre vos études, monter votre entreprise, trouver un autre travail qui vous semblerait plus valorisant ou rémunérateur, vous investir en politique ou dans une association. Quoi qu'il arrive, tout le monde effectue un travail, même lorsque nous sommes en dehors de l'emploi. C'est une constante humaine, nous ne supportons que difficilement l'inactivité. En outre, si le salaire de vie devait être de 1500 euros pour les 25-60 ans, qu'est ce que cela impliquerait immédiatement ?

Une revalorisation des salaires immédiate par les entreprises. Surtout s'agissant des travaux pénibles. Si votre ouvrier gagne autant ou plus en ne travaillant pas, vous n'avez d'autre choix que de l'augmenter pour l'inciter à rester à son poste. Ce qui signifie que les Français disposeront d'un plus grand pouvoir d'achat par l'activité salariale ou entrepreneuriale, et par voie de conséquence, les rentrées fiscales en seront d'autant plus grandes pour l’État. Ce qui permettra donc de garantir un budget important pour cette allocation universelle. Notons à ce stade que le salaire de vie serait financé par une cotisation sur les salaires, comme c'est le cas avec notre système de retraite et la sécurité sociale actuellement.

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